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Les Somnambules, de Chuck Wendig

2022 - thriller / science-fiction

 

Quatrième de couverture


Dans un petit village de Pennsylvanie, Shana surprend sa sœur, Nessie, quittant d'un pas résolu leur maison. Lorsqu'elle tente de l'intercepter, la petite fille ne réagit pas à sa présence. Mutique, absente, le regard vide, elle avance... Croyant à une crise de somnambulisme, Shana commence à la suivre. Rapidement, elles sont rejointes par un deuxième errant, frappé des mêmes symptômes que Nessie. Puis un autre. Bientôt, ils sont des centaines à converger vers la même destination inconnue, tandis que leurs proches, impuissants, leur emboîtent le pas. Mais leur traversée du pays réveille la violence qui sommeillait au cœur de la société américaine. Et si certains sont terrorisés par la menace d'une épidémie mystérieuse, d'autres y voient l'opportunité d'imposer leur vision du monde, à n’importe quel prix.


 

Mon avis


Intrigue : 5/5


Loin, voilà où va vous emmener ce récit, porté par la marche inexorable des somnambules. Des êtres humains qui, du jour au lendemain, sont comme zombifiés sans raison apparente - la faim de chair humaine en moins, l'invulnérabilité aux armes blanches en plus - et rejoignent le troupeau de leurs semblables, qui se dirige vers une destination inconnue.


Ce récit s'étire sur plus de 1300 pages. Non, je n'ai pas rajouté un "1" en premier sans faire exprès. Maintenir le lecteur en haleine sur une telle longueur relève de la gageure, mais c'est un pari réussi. À aucun moment je ne me suis ennuyé, tout au plus j'ai parfois pu ressentir des ralentissements dans l'intrigue, des pauses bienvenues avant que le récit reparte de plus belle.

En ce sens, l'auteur fait mieux qu'un certain Stephen King, qui malgré des intrigues haletantes comme celle de l'Oustider arrive difficilement à éviter son travers de "ventre mou" au second tiers. Même l'Institut, qui parvient à éviter cet écueil, ne le fait que sur une longueur de 750 pages... soit à peine plus de la moitié de ces Somnambules. Comparaison d'autant plus amusante que l'auteur fait lui-même référence au maître, p. 234 : "Il était dans le déni de ce qui était en train d'arriver, et ce qui était en train d'arriver s'avérait au-delà du bizarre, comme sorti d'un bouquin de Stephen King."


Pour réussir cet exploit d'étirer un récit sur une telle longueur, l'auteur distille au compte-gouttes les éléments d'intrigue et les explications que l'on attend avec impatience, à commencer par l'origine de cette épidémie de "somnambulisme", qui n'arrivera bien évidemment que vers la fin. Les coups de théâtre et les retournements de situations viennent rythmer le récit.

Bref, il s'agit, de loin, du page turner le plus long et efficace que j'ai probablement jamais lu.


Idées : 4/5


Sous couvert de thriller, il s'agit d'un roman apocalyptique (et non post-apocalyptique), un sous-genre classique de la science-fiction, que notre Pierre Bordage national a très bien illustré dans Le Feu de Dieu, le dernier roman que j'ai chroniqué (spoiler : j'ai beaucoup aimé).

Les idées abordées n'auront aucune saveur d'inédit pour tout amateur de science-fiction, mais, ce qui les sublime, c'est leur agencement. Car l'auteur a astucieusement imbriqué plusieurs thèmes classiques de la SF pour accoucher de cette histoire au concept, lui, inédit : la survenue de ces étranges somnambules.

Vous retrouverez ainsi, en vrac, et entre autres (je ne dévoile pas tout pour ne pas spoiler) : l'intelligence artificielle, la mécanique quantique, ou encore la nanotechnologie.


Il est intéressant de noter que ce roman fut publié avant la pandémie, un détail qui a son importance tant certaines similitudes peuvent troubler le lecteur.


En fin de compte, je dirais que ce roman ravira autant les amateurs de SF, grâce à son concept novateur, que les amateurs de thriller, qui pourront pénétrer en douceur dans le monde (absolument merveilleux, s'entend) de la SF.

Le contexte réaliste et contemporain rappelle fortement ce que propose R. C. Wilson, comme par exemple avec A Travers Temps ou Spin, son chef-d’œuvre ; ou encore, dans un registre plus proche de la littérature blanche et francophone, L'Anomalie de Hervé Le Tellier.


En dehors de l'aspect SF, d'autres thèmes seront abordés avec justesse et pertinence, comme la religion et l'écologie.

Je regrette cependant que l'Amérique soit l'unique lieu d'action et de réflexion, au vu des enjeux développés qui concernent le monde entier.


Personnages : 5/5


La palette de personnage est très, très grande. Pourtant, l'auteur prend le soin de tous bien les caractériser, de sorte que l'on n'a aucun mal à se rappeler qui est qui. Une prévenance indispensable au vu de la longueur de ce roman.


Le personnage "principal" est Shana, une jeune femme qui aura la désagréable surprise de constater que sa sœur Nessie sera la toute première somnambule. J'ai mis des guillemets car Shana sera loin d'être omniprésente dans le récit (il faut bien laisser de la place aux nombreux autres personnages), mais elle aura plus d'importance que l'on veut bien l'imaginer de prime abord.


Benjamin Ray, alias Benji, est sans conteste le second personnage principal. Ancien membre éjecté pour faute grave du CDC, la principale agence fédérale des USA œuvrant pour le contrôle et la prévention des maladies, il reprend du service lorsqu'il est désigné par une mystérieuse intelligence artificielle, Black Swan.


Matthew Bird est un autre personnage marquant. Pasteur à la foi vacillante, il prend, bien malgré lui, une importance embarrassante dans la frange de la population hostile aux somnambules.


Enfin, je terminerai avec Pete Corlay, une rockstar sur le déclin qui cache son homosexualité. Un personnage plus subtil qu'il n'y parait, et sans doute celui qui nous offre la plus belle évolution avec Matthew.


J'aurais aussi pu vous parler de Saddie, créatrice de Black Swan, d'Ozark, un antagoniste aussi crédible que terrifiant, d'Arav, l'apprenti plein de bonne volonté, ou même de Black Swan, personnage à part entière, mais je préfère vous laisser les découvrir par vous-même.


Style : 4.5/5


C'est très bien écrit. L'auteur a le sens du phrasé, notamment dans ses descriptions de personnages, qu'il met un point d'honneur à présenter physiquement avec brio. Par exemple, p.59 : "Le policier qui arriva était du genre massif : il n'était pas très grand mais devait passer sa vie à la salle de sport. Ça ne concernait pas que ses bras et ses jambes : son cou était musclé. Il était en outre chauve comme une ampoule."


L'auteur excelle également dans la comparaison et la métaphore. Par exemple, p.91 : "[...] cette histoire le turlupinait, comme une démangeaison à un endroit impossible à atteindre." Simple et très efficace.

Seul bémol : ses figures de style sont parfois un tantinet exagérées, ce qui pourra gêner les lecteurs les plus terre-à-terre. Par exemple, p.222 : "Des bras aussi gros que des canons d'un bateau se balançaient de part et d'autre de son corps [...]."


En bref :

Chuck Wendig réussit l'exploit de pondre un thriller de plus de 1300 pages captivant de bout en bout. Portée par des personnages marquants, cette histoire très bien écrite nous plonge au cœur d'une Amérique divisée face à l'étrange phénomène des somnambules, dont l'explication ravira les amateurs de SF.


NOTE GLOBALE : 4.5/5


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