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Les Déportés du Cambrien, de Robert Silverberg

1968 - Science-fiction

 

Quatrième de couverture


Révolutionnaires de toutes obédiences, arrêtés par un gouvernement trop magnanime pour les condamner à mort, ils ont été déportés. Plus loin que l'Alaska, la Sibérie ou l'Antarctique. Dans le passé. L'ère primaire, le Cambrien. Un milliard d'années avant notre ère. Le Marteau, ce gigantesque piston à refouler dans le temps les dépose sans espoir de retour dans un monde où la vie n'a pas encore quitté les océans. Avec les années, ils succombent peu à peu au désespoir et à la folie. Jusqu'à ce que soit déporté parmi eux Lew Hahn qui ne ressemble en rien à un prisonnier politique. Pourquoi a-t-il été condamné ?


 

Mon avis


Intrigue : 3.5/5


L'histoire alterne habilement les points de vue d'un lointain passé et d'un futur dystopique, où l'on suit le personnage principal à travers deux trames narratives qui se rejoignent peu à peu.


Le passé décrit la vie d'exilés politiques, téléportés de force à l'époque du Cambrien, un milliard d'années avant notre ère. La colonie fait face à l'arrivée d'un nouveau déporté qui va vite se révéler louche à plus d'un titre…


Le futur, lui, se déroule chronologiquement avant la trame du passé. Il relate la montée en puissance d'un groupe d'activistes aux Etats-Unis au début des années 2000 imaginées par l'auteur (pour rappel, le roman date des années 60). Tant bien que mal, ces activistes tentent de faire face à un régime qui glisse peu à peu vers le totalitarisme, et finit par éliminer ses opposants en les déportant loin dans le passé.


Si le récit manque un peu de rebondissements et d'action, on ne s'ennuie pourtant pas grâce au rythme de l'alternance du passé et du futur.

La fin est prévisible, mais on ressort satisfait de cette issue.


Idées : 4.5/5


L'idée principale du roman est fascinante : comment réagiriez-vous si l'on vous téléportait de force dans un lointain passé, sans aucun espoir de retour à une époque civilisée ?

Car, contrairement à son collègue Poul Anderson avec sa Patrouille du temps écrite en 1960, soit 8 années plus tôt, Robert Silverberg choisit d'imposer un voyage à sens unique, uniquement possible vers le passé.

Un pont est ainsi établi entre passé et futur par le biais du Marteau, une machine temporelle. De part et d'autre, le temps s'écoule de la même manière, comme dans la Cité du Futur.

Sauf que, contrairement au roman de R. C. Wilson qui se déroule à l'époque du Far West, ici il s'agit d'un passé bien plus lointain et peu accueillant : à cette époque cambrienne, la vie n'existe que dans l'océan. Sur le plancher des vaches, aucun animal, aucun insecte, et aucune végétation ou presque. Seule de la roche à perte de vue.

Ces colons infortunés doivent s'en remettre au bon vouloir des dirigeants du futur qui leur expédient matériel et nourriture par le biais du Marteau.


La description du Cambrien est assez immersive. L'auteur nous expose la vie principale de l'époque, des trilobites, qui servent de nourriture aux déportés. Il y décrit un air plus pur que celui du futur, dans un ciel non pas bleu mais grisâtre.

Par contre, l'auteur commet une erreur à propos de la période, puisqu'il situe le Cambrien un milliard d'années dans le passé, alors qu'il s'agit de la première période du Paléozoïque, à savoir le Tonien. On lui pardonnera cependant cette petite imprécision qui n'ôte rien à la qualité du roman, d'autant plus que dans les années soixante, la datation géologique s'avérait moins précise qu'aujourd'hui.


La composante politique du futur est bien rendue et n'est pas trop manichéenne : la frontière entre les activistes et le gouvernement est parfois ténue, à dessein. On peut d'ailleurs y voir une critique de l'individualisme, qui pousse à la trahison par ambition ou conviction morale.


Personnages : 4/5


Le personnage principal est le doyen de la colonie du passé : Jim Barret. On suit son évolution auprès des exilés, et en parallèle on apprend comment il en est arrivé là avec la trame du futur qui relate les prémisses du mouvement activiste qui le conduira à l'exil.


Dans la colonie cambrienne, ses compagnons déportés sont moins marquants, souvent réduits à leur fonction : Quesada le médecin, Mel Rudiger le scientifique, etc. Ces derniers n'ont pas d'apport significatif dans l'intrigue, même s'ils alimentent la réflexion du lecteur quant à la vie dans une telle colonie.

Même Lew Hahn, le nouvel arrivant suspect, n'est au final que peu nuancé.


Au final, de mon point de vue, les autres personnages intéressants se situent plutôt dans le futur.


Il y a tout d'abord Jack Bernstein, l'ami de Jim qui l'intègre dans le groupe d'activistes. C'est le personnage le plus sombre. Pour lui, ses compagnons ne vont pas assez loin dans la lutte contre la dictature qui s'instaure.


Janet est quand à elle la seule figure féminine de l'histoire. C'est un travers récurrent des auteurs de SF du siècle dernier, qu'on retrouve notamment chez Asimov, comme dans Les Dieux Eux-Mêmes, par ailleurs excellent roman du maître : l'histoire est principalement portée par des hommes, des vrais, parce que tout le monde sait que les femmes ne sont bonnes qu'à faire la vaisselle et le ménage, n'est-ce pas ?

Janet est une activiste comme Jim, avec qui elle aura une histoire d'amour.


Un autre personnage marquant est l'inventeur de la machine à voyager dans le passé, Edmond Hawksbill. C'est un mathématicien génial qui fait partie des activistes, mais qui aura bien du mal à ne pas céder au chant des sirènes gouvernementales lui promettant des fonds illimités pour développer sa machine…


Style : 4/5


Le style est très fluide, simple et efficace. Il s'efface volontiers au profit de l'intrigue et des personnages.


Cela dit, si l'auteur ne s'embarrasse pas de figures de style et va à l'essentiel, ceci ne l'empêche pas d'accoucher de descriptions très immersives. Par exemple (p. 21) : "La surface de la planète, aux endroits où elle perçait l'océan, n'était qu'une étendue de roche nue, stérile et monotone, où seules quelques mousses avaient réussi à pousser dans les rares endroits où un sol fragile s'était formé. [...] c'était un monde mort, un monde pas encore né."


Un bémol concernant les descriptions de personnages, parfois caricaturales, comme par exemple celle de Janet (p. 43) : "Elle était petite et grosse et portait une jupe courte qui laissait voir ses cuisses épaisses. [...] De gros seins lourds non étayés déformaient son sweater en laine rouge. [...] On eût dit qu'elle se donnait du mal pour ressembler à un souillon négligé et vulgaire."


En bref :

Un roman court sur le thème du voyage dans le temps qui remplit ses promesses, ni plus, ni moins. L'idée d'exil temporel sans espoir de retour est fascinante.

La lecture est plaisante et dépaysante, même si l'on peut en ressortir avec un petit goût de trop peu.


NOTE GLOBALE : 4/5


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