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La ménagerie de papier, de Ken Liu

  • Nicolas Skinner
  • 2 juil.
  • 3 min de lecture

2015 - SFFF

Couverture de l'édition poche du roman Dracula de Bram Stoker

Quatrième de couverture


« Elle plaque la feuille sur la table, face vierge exposée, et la plie. Intrigué, j’arrête de pleurer pour l’observer. Ma mère retourne le papier et le plie de nouveau, avant de le border, de le plisser, de le rouler et de le tordre jusqu’à ce qu’il disparaisse entre ses mains en coupe. Puis elle porte ce petit paquet à sa bouche et y souffle comme dans un ballon.

“Kan, dit-elle. Laohu.” Elle pose les mains sur la table, puis elle les écarte.

Un tigre se dresse là, gros comme deux poings réunis. Son pelage arbore le motif du papier, sucres d’orge rouges et sapins de Noël sur fond blanc.

J’effleure ce qu’a créé Maman. Sa queue bat et il se jette, joueur, sur mon doigt… ».

Ken Liu est né en 1976 à Lanzhou, en Chine, avant d'émigrer aux Etats-Unis à l'âge de onze ans. Titulaire d'un doctorat en droit (université de Harvard), programmeur, traducteur du chinois, il dynamite les littératures de genre américaines, science-fiction aussi bien que fantasy, depuis une dizaine d'années, collectionnant distinctions et prix littéraires, dont le Hugo, le Nebula et le World Fantasy pour la seule "Ménagerie de papier", ce qui demeure unique à ce jour. Le présent recueil, élaboré au sein d’un corpus considérable, et sans équivalent en langue anglaise, consacre l’éclosion du plus brillant des talents, protéiforme et singulier — l’avènement d’un phénomène.


Mon avis


Le recueil explore un éventail d’idées puissantes, souvent centrées sur la mémoire, l’identité, la famille et les fractures culturelles. Beaucoup de nouvelles articulent un conflit entre héritage et modernité, entre traditions souvent asiatiques (notamment chinoises) et un monde occidental technologique, rationnel, voire aliénant.

L’auteur interroge régulièrement la nature de l’humanité, dans des contextes qui mêlent science-fiction, fantastique et réalisme magique. Les récits parlent aussi des cicatrices laissées par l’histoire (colonialisme, guerres, migrations), et de la puissance – mais aussi des dangers – du langage, de la technologie ou de la mémoire collective.


Certaines nouvelles adoptent une approche spéculative pour poser des questions philosophiques et éthiques : qu’est-ce que la conscience ? Une intelligence artificielle peut-elle ressentir ? Que reste-t-il de l’individu dans un monde d’archivage total ? Ken Liu utilise l’imaginaire comme un outil de lucidité morale, plutôt que comme simple échappatoire.


Comme à son habitude, le style de Ken Liu est lyrique, élégant et précis, souvent chargé d’émotion mais sans pathos superflu. En d'autre termes, c'est un gros point fort de l'auteur. Il privilégie une narration fluide, souvent en focalisation interne, mettant en lumière l’intimité des personnages. L’écriture est marquée par une sobriété poétique, qui peut soudain basculer dans des images puissantes.

L'auteur maîtrise aussi la polyphonie narrative : certaines nouvelles adoptent des formes hybrides (lettres, rapports scientifiques, archives), d’autres jouent avec les registres littéraires (réaliste, onirique, cybernétique).


Quand aux personnages de cette Ménagerie de Papier, il s'agit souvent d'êtres en exil – exil géographique, temporel, culturel ou affectif. Beaucoup sont des enfants tiraillés entre deux mondes (notamment dans la nouvelle éponyme, véritable bijou de ce recueil), des parents porteurs de silences douloureux, des chercheurs, des archivistes ou des témoins. Ils ont en commun une fragilité discrète, une quête de sens ou de réconciliation avec une histoire personnelle ou collective fragmentée.

L’une des forces de Ken Liu est d’offrir des personnages profonds en quelques pages, sans jamais céder à la caricature. Il met l’accent sur les liens intergénérationnels, les choix moraux ambigus et le poids de la transmission, qu’elle soit biologique, culturelle ou mémorielle.


En comparaison, l'autre recueil de l'auteur Jardins de poussière prolonge les thèmes de cette Ménagerie de Papier, mais avec un ancrage plus prononcé dans la science-fiction pure, parfois plus conceptuelle, plus spéculative. Là où La Ménagerie frappe par son humanité immédiate et émotionnelle, Jardins de poussière explore davantage les systèmes, les utopies brisées, les langages artificiels, les civilisations en mutation. Les personnages y sont parfois plus symboliques ou allégoriques, et l’écriture légèrement plus distanciée. Mais, dans les deux cas, Ken Liu continue de tisser avec finesse l’intime et le cosmique, la technologie et la mémoire, la tendresse et la tragédie.



En bref :

Un excellent recueil, varié et puissant. Les idées fusent, portées par un style poétique et des personnages profonds. A mettre entre toutes les mains des amateurs de SFFF.


NOTE GLOBALE : 4.5/5


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