Soumission, de Michel Houellebecq
- Nicolas Skinner
- 14 sept.
- 5 min de lecture
2015 - anticipation

Quatrième de couverture
Dans une France assez proche de la nôtre, un homme s'engage dans la carrière universitaire. Peu motivé par l'enseignement, il s'attend à une vie ennuyeuse mais calme, protégée des grands drames historiques. Cependant les forces en jeu dans le pays ont fissuré le système politique jusqu'à provoquer son effondrement. Cette implosion sans soubresauts, sans vraie révolution, se développe comme un mauvais rêve.
Mon avis
Intrigue : 3/5
Le roman se déroule en France dans un futur proche, en 2022. Le narrateur, François, universitaire spécialiste de Huysmans, assiste à l’ascension politique fulgurante d’un parti musulman modéré, la Fraternité musulmane, qui parvient à accéder au pouvoir grâce à une coalition avec la gauche pour contrer le Front national.
Sous la présidence de Mohammed Ben Abbes, la France se transforme : introduction de l’éducation islamique dans les universités, généralisation de la polygamie, retrait des femmes du marché du travail. François, cynique et désabusé, observe ces bouleversements depuis sa vie personnelle vide, marquée par des liaisons superficielles et un profond désenchantement.
L’intrigue progresse moins par l’action que par la peinture d’un climat social et politique, jusqu’au moment où François est confronté à un choix : rester en marge ou se convertir à l’islam, avec la promesse d’une nouvelle vie, d’un statut social et d’une stabilité affective.
C'est lent, très lent, presque hypnotique, et rien ne vient troubler cette léthargie du lecteur qui s'installe, peu à peu, comme si l'auteur souhaitait nous emporter vers une issue inexorable en douceur. Même les évènements les plus graves ou importants semblent relégués au second plan, comme par exemple l'élection inéluctable de Ben Abbes.
Le contrecoup de ce parti pris résulte dans une intrigue molle qui peine à captiver.
Idées : 4/5
Au cœur de cette œuvre bat une angoisse existentielle, celle d'une Europe occidentale épuisée, vidée de sa substance et de son éclat d'antan. Ses personnages, à l'image de François, arpentent un monde de solitude matérialiste, où les grandes idéologies ont échoué, laissant derrière elles un horizon de sens désert. Dans ce vide spirituel, le roman ne se contente pas de dresser un constat ; il interroge avec une froide lucidité le rôle que pourraient encore jouer les religions. L'islam n'est pas tant une cible qu'un miroir, un principe organisateur capable de répondre à la soif de communauté et de foi que ni la laïcité ni le christianisme, ici présentés comme dévitalisés, ne semblent plus pouvoir étancher.
Le titre, Soumission, est un jeu de miroirs. Il renvoie à la fois à l'acceptation d'un nouvel ordre politique et social, mais aussi à un abandon plus profond, un lâcher-prise mystique qui offre un apaisement face à l'absurdité du monde moderne. C'est l'idée que la soumission pourrait être, paradoxalement, une forme de libération.
Enfin, l'auteur dresse un portrait incisif des élites intellectuelles, en particulier des universitaires. Incarnée par François, l'impuissance de cette classe savante est frappante. Retranchée dans sa bulle académique, elle observe les transformations du monde comme un spectacle lointain, incapable d'y prendre part. Plus spectateurs qu'acteurs, ces figures de l'intellect symbolisent un échec collectif, le naufrage d'une pensée qui a perdu son pouvoir d'agir sur le réel.
A noter que, s'il s'agit bel et bien d'un roman d'anticipation, il faut que l'amateur de SF modère ses attentes, car, ici, l'objectif n'est point d'illustrer des dérives scientifiques ou technologiques, mais uniquement de dépeindre une évolution culturelle de la société.
Personnages : 4/5
Dans l'univers de Houellebecq, les personnages ne sont pas des héros, mais des archétypes sociaux et intellectuels, conçus pour incarner les maux de notre époque plutôt que pour susciter l'empathie.
Narrateur et anti-héros, François est la figure par excellence de l'homme houellebecquien. Il déambule à travers un monde qu'il observe avec une ironie désabusée, solitaire et misanthrope. Son existence se résume à une quête compulsive de plaisirs éphémères — la nourriture, le sexe — qui ne parviennent jamais à masquer le vide spirituel qui l'habite. François est l'incarnation d'une civilisation qui a perdu ses repères, un homme qui constate la décadence sans la combattre, dans une posture de résignation fataliste.
Myriam, l'étudiante et l'amante de François, est un personnage en demi-teinte. Son statut de femme juive la place en position de vulnérabilité, symbolisant la fragilité des minorités face aux bouleversements sociaux. Son départ pour Israël n'est pas une simple fuite, mais l'acte d'une personne qui choisit un enracinement spirituel et identitaire en réponse à une autre culture identitaire.
Ancien universitaire laïc converti à l'islam, Robert Rediger devient le nouveau recteur de la Sorbonne. Il représente l'opportunisme pragmatique et le cynisme de l'élite intellectuelle. Son parcours illustre l'idée que les principes peuvent être abandonnés au profit d'une adhésion à l'ordre nouveau.
Enfin, bien que le président musulman Ben Abbes soit une figure presque absente du roman, il exerce une influence majeure. Il est l'incarnation d'un pouvoir fort, stable et modéré, capable de remplir le vide laissé par la politique et la religion occidentale. Son charisme silencieux est un contraste frappant avec le désarroi des personnages qui l'entourent.
Style : 3.5/5
Houellebecq adopte un style sobre, froid et clinique, et un ton monotone, parfois volontairement plat. Cette écriture traduit le désenchantement du narrateur et sa distance ironique face aux événements.
Ses phrases sont parfois interminables vont dans ce sens, jugez par vous-même : "La température était douce et les doubles portes avaient largement été ouvertes sur le jardin, je pris une coupe de champagne avant de déambuler entre les tilleuls et très vite j’aperçus Alice, elle était maître de conférences à l'université de Lyon III, spécialiste de Nerval, sa robe de tisse léger imprimée de fleurs vives était sans doute ce qu'on appelle une robe de cocktail, les différences entre la robe de cocktail et la robe de soirée m'échappaient un peu à vrai dire mais j'étais certain qu'en toutes circonstances Alice aurait la robe appropriée, et plus généralement le comportement approprié, sa compagnie était très reposante, aussi n'hésitai-je pas à la saluer bien qu'elle fût en conversation avec un jeune type au visage anguleux, à la peau très blanche, vêtu d'un blazer bleu porté par un tee-shirt du PSG, chaussé de baskets d'un rouge vif, l'ensemble était bizarrement assez élégant ; il se présenta à moi sous le nom de Godefroy Lempereur."
Oui, il n'y avait qu'un seul et unique point dans tout ce pavé.
Le roman alterne observations triviales (consommation, sexe, gastronomie) et réflexions philosophiques (religion, littérature, politique). Le réalisme terne est entrecoupé de traits d’humour noir ou de cynisme mordant.
Houellebecq joue sur un effet de banalité : il décrit des bouleversements civilisationnels avec la même neutralité qu’un repas réchauffé ou une liaison sexuelle mécanique. Cela crée un contraste ironique, parfois dérangeant, entre la gravité des thèmes et la sécheresse du ton.
En bref :
Soumission n’est pas un roman d’action politique, mais une fable d'anticipation satirique sur le déclin spirituel de l’Occident. Ses personnages incarnent des archétypes qui poussent une intrigue molle et portée par un style volontairement monotone.
NOTE GLOBALE : 3.5/5
Commentaires